FUNIX

Les inégalités entre l'outre-mer et la métropole : cas particulier de l'île de la Réunion


Partie 1

Une évolution nécessaire du modèle socio-économique sous forte contrainte

Partie 2

Les leviers de réduction des inégalités

Conclusion


Introduction

Titre 1 : Les atouts à valoriser comme axes de développement



L’île de la Réunion ne souffre pas que de freins structurels, elle dispose également d’atouts précieux qui méritent d’être exploités à leur juste valeur. Ce chapitre aspire à lister ces principaux atouts.

1.1 Une ouverture internationale

La Réunion n’est pas seulement un département éloigné et isolé de sa métropole et de l’Europe en tant que région ultra périphérique, elle est également le fer de lance de la France et de l’Europe dans un espace de l’Océan Indien en pleine croissance et au fort potentiel de développement. Le fait d’être un département français et d’être inclus dans l’Europe avec des normes et règlements stricts notamment dans les domaines médical, sanitaire et alimentaire est clairement davantage un atout qu’un handicap dans l’environnement géographique où se trouve la Réunion. Cette appartenance confère à la Réunion une stabilité institutionnelle, économique et juridique qui est appréciée des investisseurs et de l’économie en général. Par ailleurs malgré les difficultés que connaît la Réunion et qui ont été développées dans la première partie de ce mémoire, le niveau de développement économique et social reste très supérieur à celui de ses voisins directs avec des équipements et des infrastructures modernes et des personnels compétents et formés.

Cela ouvre des possibilités à la Réunion de se positionner comme un acteur économique central dans l’est de l’Océan Indien notamment dans le secteur du transport maritime, de l’import export ou pour proposer des services et produits à forte valeur ajoutée et technicité dans différents domaines (médical, numérique, etc.).

Renforcer et développer ses liens avec son environnement géographique permettraient à la Réunion d’atteindre et de dépasser la taille critique de son marché intérieur qui la limite pour devenir compétitive sur le marché. Pourtant la Réunion a été maintenue isolée de son environnement régional, la France n’a jamais su et voulu exploiter le potentiel géographique de l’île malgré les communautés originaires d’Afrique, d’Asie et d’Inde qui la peuplent et qui sont autant d’atouts pour nouer des relations privilégiées avec les pays environnants. C’est assez paradoxal car historiquement elle a d’abord été un comptoir de la compagnie des Indes, ouverte vers l’Asie et l’Inde. Aujourd’hui les vols longs courriers devenus sans escale contribuent encore à isoler la Réunion, pour pouvoir rayonner dans le monde au départ de la Réunion il est nécessaire de passer maintenant par Paris ou de l’île Maurice nettement plus ouverte sur le monde extérieur. Il s’agit maintenant de lui redonner ce rôle de plaque tournante française dans l’océan indien en l’ouvrant sur son environnement régional en abandonnant la vision jacobine qui place Paris comme un point de passage incontournable même à 10000km de distance. Il faut favoriser maintenant la prospection, la recherche de nouveaux marchés et des débouchés régionaux, tout en s’écartant des échanges quasi exclusifs avec la métropole.

1.2 Un emplacement géostratégique

Les confettis de la France dispersés sur tous les océans du globe, hérités de l’époque coloniale, donnent à la France le deuxième espace maritime du monde derrière les États-Unis en additionnant toutes les zones économiques exclusives (ZEE). En particulier dans l’Océan Indien, ces ZEE représentent le quart de la zone totale contrôlée par la France. Ces possessions présentent un intérêt économique car elles sont dotées de grandes ressources halieutiques et mais également de ressources en minerais et en hydrocarbure (gisement de l’île de Juan de Nova dans le canal du Mozambique) qui n’attendent qu’à être exploitées. L’île de la Réunion se retrouve ainsi port de base des navires qui pratiquent la grande pêche hauturière dans l’archipel des Kerguelen. Ces possessions ont également un intérêt stratégique évident, car elles permettent à la France de contrôler le trafic maritime dans cette partie de l’Océan Indien, notamment le canal du Mozambique, mais également celui passant par le cap de bonne espérance au sud de l’Afrique. Elles sont autant de point d’appui pour des éventuelles interventions dans la région, d’autant que de nombreux pays voisins revendiquent les possessions françaises comme Madagascar ou les Comores. La valeur stratégique de l’Océan Indien n’a pas échappé aux États-Unis qui a implanté une base militaire sur l’atoll isolé de Diégo Garcia au milieu de l’Océan Indien en déportant au passage sa population contrainte et forcée dans les années 60. Elle n’échappe pas non plus à la Chine qui a établit une nouvelle route de la soie, qui se veut maritime maintenant, traversant l’Océan Indien avec des implantations militaires tout au long de la route et qui sont autant de comptoirs modernes. Cette stratégie connue sous le nom de stratégie du collier de perles contribue à sécuriser les échanges commerciaux de la Chine et notamment ses approvisionnements stratégiques.

Dans ce cadre là, l’île de la Réunion se retrouve donc au cœur du dispositif français de souveraineté de la France dans l’Océan Indien en hébergeant le 3ème port français militaire après Toulon et Brest ! Sur place elle maintient de manière permanente deux frégates de surveillance, le Floréal et le Nivôse, deux patrouilleurs, le Malin et l’Astrolabe et le bâtiment multi-mission Champlain. Cette flotte se déploie dans tout l’Océan indien  et affiche la présence de la France et sa souveraineté sur sa ZEE en luttant notamment contre les trafics illicites et la pêche illégale. Elle contribue également à réfréner certaines visées hégémoniques de pays voisins et de puissances comme la Chine.

 

Photographie 13 : Base navale du port des galets avec les frégates Floréal et Nivôse au premier plan, le Champlain et le Malin de gauche à droite au deuxième plan (source https://www.meretmarine.com/fr/content/la-reunion-la-base-navale-vue-du-ciel)

 

Cette position stratégique de la Réunion fait qu’elle conservera un attrait et un grand intérêt pour les gouvernants français.

 

 

Illustration 16 : Les zones économiques et exclusives de la France dans l’Océan Indien (source https://www.defense.gouv.fr/)

 

Outre la Marine Nationale, la Réunion héberge également un détachement permanent de l’Armée de Terre et de l’Armée de l’Air. À noter également l’existence d’un régiment de service militaire adapté (SMA). Ce dispositif propre à l’outre-mer et piloté par le ministère de l’outre-mer a une vocation avant tout sociale. Il a pour objectif de préparer à l’insertion professionnelle de jeunes issus de milieux défavorisés, généralement sans diplôme et en décrochage scolaire, tout en leur inculquant les valeurs essentielles à leur intégration dan la société dans un cadre militaire. Le taux d’insertion se monte à 73,5 % en 2014[148], taux qui est exceptionnel quand on connaît le taux de chômage des jeunes à la Réunion. Le SMA est donc un dispositif de réduction des inégalités qui fonctionne, mais son effet reste négligeable car il ne touche que 1500 jeunes, même si ce nombre a doublé en quelques années. On peut penser que son efficacité est liée justement à sa petite taille. Ce dispositif a eu tellement de succès qu’il a conduit en métropole à la création des Établissements publics d'insertion de la Défense (EPIDE) en 2005 et, plus récemment, en 2015 du service militaire volontaire.

1.3 Des ressources et un trésor environnemental

Alors que la Réunion se caractérise par une forte densité de population sur son littoral, le centre de l’île reste relativement préservé avec un domaine forestier public géré par l’Office Nationale des Forêts (ONF) qui couvre encore 40 % de la superficie totale de la Réunion auquel il faut rajouter les surfaces privées.

D’après l’état des ressources génétiques forestières dressé par l’ONF en 2014[149], la forêt primaire couvre 66 382 hectares de surface publique et privée, or l’isolement de la Réunion a conduit à un taux d’endémicité très important de sa faune et de sa flore avec une biodiversité exceptionnelle qui la classe parmi les dix milieux insulaires les plus riches de la planète.

 

Photographie 14 : Forêt primaire dans les hauts du village du Brûlé (photo Olivier Hoarau)

Sur 700 espèces indigènes qu’on retrouve dans l’archipel des Mascareignes, 230 espèces végétales sont endémiques à la Réunion. L’UNESCO a reconnu ce patrimoine naturel en classant en 2010 le parc national de la Réunion qui couvre 40 % de son territoire comme patrimoine mondial de l’humanité.


 

Photographie 15 : Le tarier de la Réunion prénommé localement tec tec, espèce endémique de la Réunion (photo Olivier Hoarau)

Par ailleurs l’origine volcanique de l’île avec un volcan toujours actif a modelé l’île avec des montagnes qui occupent tout le centre de l’île et dont le sommet, le piton des neiges, culmine à 3069 m. Le centre de l’île se caractérise également par la présence de trois cirques naturels entourant le piton des neiges Cilaos, Mafate et Salazie. Pour l'UNESCO « l'ensemble des pitons cirques et remparts créent un paysage spectaculaire et contribuent significativement à la conservation de la biodiversité terrestre ». Cette géographique donne des paysages remarquables à l’île.

 

Illustration 17 : Le relief de l’île de la Réunion (source http://www.canalmonde.fr/r-annuaire-tourisme/france/974/carte-guide-la-reunion.php)

L’île étant jeune à l’échelle géologique, les formations coralliennes sont peu développées et le lagon avec sa ceinture récifale n’occupe que 12 % du littoral de l’île sur la côte ouest de l’île de Saint Gilles les bains jusqu’à Saint Pierre (cf. carte en annexe). Cette bande côtière est située sur la côte de l’île la plus ensoleillée et la moins sujette aux intempéries.


Photographie 16 : Lagon de l’île de la Réunion (source https://www.reunion.fr/decouvrir/mer/les-plages)

Ces spécificités naturelles exceptionnelles sont des atouts et sont autant de potentiels de développement et d’attractivité de l’île.

1.4 Une richesse culturelle

La Réunion du fait de son histoire est un creuset de peuples originaires de l’ensemble du pourtour de l’Océan Indien, d’Europe et de Chine créant une société avec une identité culturelle inédite à partir de l’apport de l’ensemble des cultures initiales suivant un processus de créolisation. La créolisation a été théorisée par Édouard Glissant, écrivain, poète et philosophe martiniquais, dans le traité du tout monde[150] « La créolisation est la mise en contact de plusieurs cultures ou au moins de plusieurs éléments de cultures distinctes, dans un endroit du monde, avec pour résultante une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme ou à la simple synthèse de ces éléments ».

Cette spécificité culturelle fut longtemps menacée au nom de l’assimilation culturelle et juridique (cf. chapitre 3.1.2) mais elle est maintenant pleinement revendiquée et assumée. Elle s’affirme dans les domaines aussi variés que le patrimoine, l’artisanat, la musique, la danse ou bien la gastronomie. Cette richesse et diversité culturelle est vue par l’UNESCO comme « une force motrice du développement pour ce qui est de la croissance économique et comme moyen de mener une vie intellectuelle, affective, morale et spirituelle plus satisfaisante. Elle représente un atout indispensable pour atténuer la pauvreté et parvenir au développement durable »[151]. La spécificité culturelle et l’origine ethnique de l’individu ne sont pas un handicap comme le rappelle l’article 6 de la déclaration de l’homme et du citoyen[152] qui prend tout son sens « Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. ». Le mérite prévaut devant toute considération d’ordre ethnique ou communautaire, même si l’origine sociale pour les plus modestes peut être un handicap avéré, comme développé dans les chapitres précédents, l’adage comme quoi les enfants héritent de la pauvreté de leur parent ne doit pas être une fatalité.

Conclusion Titre 1 : Les atouts à valoriser comme axes de développement

Les spécificités naturelles et l’éloignement de la Réunion ont été par le passé un frein au développement de l’île et restent considérés comme des handicaps, pourtant dans un mode globalisé et dans l’environnement régional où se situe l’île ces particularités sont autant d’atouts et de facteurs d’attractivité et font de la Réunion une place forte de la présence française dans l’Océan Indien en étant la tête de pont du rayonnement français sur tout le bassin régional. Par ailleurs la richesse culturelle de l’île au travers de la diversité de sa population est un atout indéniable par sa capacité d’adaptation et d’assimilation du meilleur de chacune des cultures.

Le potentiel naturel et culturel de la Réunion n’attend plus qu’à être valorisé et exploité et constitue un axe majeur du développement de l’île. En ce qui concerne la culture, la Sénatrice Nassimah Dindar[153] note pourtant « un effondrement des crédits dédiés à la culture, à la jeunesse et au sport » avec des crédits dix fois moins importants à ce qu’ils étaient l’année précédente, ce qui illustre le fait que la culture n’est clairement pas une priorité dans le contexte économique actuel, la culture reste le parent pauvre des politiques qui négligent son potentiel de ciment de la cohésion sociale.




[148] « Régiment du Service militaire adapté de La Réunion », consulté le 11 octobre 2018, https://www.le-sma.com/presentation/les-centres/51-rsma-reunion.

[149] Julien Triolo, « Etat des ressources génétiques forestières à l’île de La Réunion » (ONF, 14 janvier 2014), consulté le 17 août 2018, http://agriculture.gouv.fr/telecharger/44759?token=cc2fe081e370c619ccddf131ad1d72a7.

[150] Édouard Glissant, Poétique, IV : Traité du Tout-Monde (Paris: Gallimard, 1997).

[151] « Journée mondiale de la diversité culturelle pour le dialogue et le développement, 21 mai », consulté le 7 juillet 2018, http://www.un.org/fr/events/culturaldiversityday/background.shtml.

[152] « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 | Légifrance, le service public de l’accès au droit », consulté le 8 mai 2018, https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Declaration-des-Droits-de-l-Homme-et-du-Citoyen-de-1789.

[153] « Projet de loi de finances pour 2018 : Outre-mer », consulté le 22 juillet 2018, http://www.senat.fr/rap/a17-111-4/a17-111-4.html.